Grand peur et misère du IIIe..."
les 15, 16 et 17 novembre 2024
C’est en 1935, deux ans seulement après l’ascension d’Hitler au pouvoir, que Bertold Brecht entame l’écriture de Grand peur et misère du IIIe Reich. Obligé de fuir l'Allemagne nationale-socialiste, il y décrit la façon dont le fascisme s’est lentement distillé dans les veines de la société allemande. Quelques 90 ans plus tard, la pièce reste très contemporaine. Itw de Franck Delrieu, ex-comédien de théâtre et de cinéma, directeur artistique de la Péniche Cinéma (à Paris), installé à Lodève. Il s’est lancé dans la mise en scène de ce texte avant-gardiste. Il nous explique pourquoi. .
Q : Pourquoi monter Grand peur et misère du IIIe… avec une troupe amateure ?
FD : C’est la première pièce que j’ai joué en entrant au conservatoire. J’avais été impressionné par la justesse du texte et sa portée. Le théâtre de Brecht est sans chichi, sans détour, sans figure de style, sans prise de tête ; il s’adresse à tout le monde. Nous ne sommes pas plongés dans les arcanes du pouvoir. Au contraire, nous entrons dans la cuisine, la chambre à coucher, le salon d’une famille modèle, d’un paysan ou d’un bourgeois.
Tous ses personnages sont en prise avec leurs doutes, leurs peurs, leurs paranos. Le trait est droit. La démonstration implacable. Il témoigne de la somme de compromissions, petites lâchetés, silences, non-dits, regards détournés qui, mis bout à bout, ont entraîné l’Allemagne dans le nazisme. La pièce nous interroge sur la place et le rôle des petits hommes dans la grande histoire du monde. Sommes-nous responsables de ce qui nous arrive ? Sa réponse est oui.
Q : Que signifient les trois petits points dans le titre qui remplace Reich ?
FD : J’ai retravaillé le texte pour le rendre plus contemporain en gommant des détails et passages trop « historiquement » marqués qui auraient pu faire dire au spectateur : « oui, bien sûr, mais les chemises brunes c’est du passé »
Ainsi dépouillé, la pièce, construite comme une succession de tableaux vivants, dessine le visage du fascisme ordinaire qui n’a pas ni âge, ni sexe, ni religion, ni signe distinctif particulier, ni temporalité.
Et dans lequel, hélas, nous pourrions tous nous retrouver. La peur qui s’est installée entre les deux tours des élections législatives en juin dernier, la radicalisation des points de vue et la violence des propos et comportements qu’elle a généré doivent nous alerter. Personne n’est à l’abri.
Q : Vous êtes dans l’ère du temps. La même pièce sera jouée cet hiver au théâtre de l’Odéon. Elle est aussi en tournée dans toute la France. C’est un signe !
FD : Il faut voir cette pièce. Jouée par des amateurs (de talent!) comme c’est le cas ici ou par des professionnels, tout le monde devrait la voir. J’ai travaillé avec de jeunes comédiens, Luz et Benjamin deux lycéens, et Isilde, une collégienne de presque 12 ans, auxquels on n’enseigne pas l’Histoire avec un petit H. En découvrant la pièce, leur regard sur le fascisme s’est aiguisé. Interrogez-les, ils sont les plus concernés. Je reste persuadé que le théâtre est un formidable outil d’éducation populaire. A mettre urgemment devant tous les yeux et entre toutes les oreilles !